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Investir ne doit pas faire oublier la main-d’œuvre

Le salarié entre en concurrence avec d’autres investissements. Il faut donc bien choisir l’affectation de sa capacité financière, en tenant compte des besoins en bras.

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Si le robot de traite est d’office classé comme un investissement, le salarié, auquel les éleveurs le comparent facilement, reste bien souvent dans la colonne charges. Mais ceux qui emploient du personnel depuis longtemps ont bien compris que l’embauche se raisonne comme un investissement. Les gains techniques permis par un salarié se mesurent plus difficilement sur un élevage laitier que porcin, mais ils sont bien réels. À l’inverse, une surcharge de travail permanente engendre des coûts certes diffus, mais tout aussi concrets : baisse des performances techniques, stress, accidents, etc. « S’assurer que l’exploitation dispose de la main-d’œuvre dont elle a besoin constitue un préalable au développement de l’entreprise, mais permet aussi de la pérenniser », affirme Anne Bras, chargée d’études à CERFrance Bretagne. Cette réflexion passe de plus en plus souvent par l’embauche. La part des UTH salariées reste faible en élevage laitier, mais elle a été multipliée par trois en vingt ans. « Parmi nos adhérents spécialisés en lait, 15 % emploient au moins un salarié à mi-temps », précise Anne Bras. Les élevages robotisés ne sont pas rares dans ce groupe, preuve que cette orientation ne règle pas les problèmes de main-d’œuvre.

Par ailleurs, Guy Chollet, conseiller lait à CERFrance Côtes-d’Armor, constate que dans le bassin de Guingamp où il intervient, 20 % des élevages laitiers s’appuient sur une main-d’œuvre bénévole significative. Une situation très répandue ailleurs aussi.

Si de nombreux éleveurs se trouvent débordés et dans l’incapacité de recruter aujourd’hui, c’est souvent parce qu’à un moment donné, ils ont sous-estimé leur besoin en main-d’œuvre. Or, une fois que les investissements sont en place, la charge financière comme celle du travail sont fixées. De même, le départ d’un associé ou la réduction du bénévolat d’un parent sont des événements prévisibles qui se préparent aussi sous l’angle de la main-d’œuvre. Quand le revenu de l’exploitant ne dépasse pas 20 000 €, l’embauche n’est plus possible. « Il faut disposer de 25 000 à 30 000 € pour payer un salarié, soit l’EBE permis par 200 000 litres de lait quand on dégage 150 €/1 000 l », calcule Guy Chollet.

Une étude a évalué le temps de travail sur les élevages laitiers bretons grâce à une « calculette » mise au point par les chambres d’agriculture. Elle révèle un manque criant de main-d’œuvre : 530 heures par exploitation et par an, en moyenne ! Ce déficit atteint 1100 heures sur les plus gros élevages, à comparer aux 1600 h que représente un salarié à temps plein (35 h). Bon nombre de ces exploitations disposent d’une capacité financière insuffisante pour embaucher.

Le décalage existant entre le temps de travail d’un salarié et celui d’un exploitant complique le raisonnement de l’embauche. Il semble évident qu’un salarié ne peut remplacer un associé. D’autant plus qu’un départ implique le remboursement des parts dans l’entreprise. « La réussite de l’embauche d’un salarié passe donc par les tâches qu’on lui attribue. Elles doivent autoriser un retour sur investissement », souligne Guy Chollet.

Des jeunes s’imposent une charge de travail intenable

Le salarié se trouve en réalité en concurrence avec d’autres investissements. « Si l’on utilise toute sa capacité financière pour s’agrandir ou investir dans des équipements, on n’aura pas la possibilité d’embaucher. Il s’agit donc d’un choix stratégique », poursuit Anne Bras. Elle s’inquiète de voir qu’aujourd’hui encore, des jeunes s’installent en prévoyant de travailler plus de 60 heures par semaine et sans envisager d’embauche. Dans quelques années, quand ils seront mariés et que leurs parents n’assureront plus le coup de main bénévole sur lequel ils s’appuient, ils crouleront sous la charge. Ils n’auront peut-être pas une marge suffisante pour se faire aider.

C’est donc bien au moment où l’on investit qu’il faut s’interroger sur l’opportunité de réserver des financements pour l’embauche. Le coût net d’un salarié est à comparer à celui d’un équipement ou encore de la délégation d’une partie des tâches. Mais quand on opte pour l’équipement, il ne faut pas se laisser aveugler par l’avantage fiscal et garder en tête qu’il ne tournera pas tout seul. « Il ne faut pas se leurrer, remarque Guy Chollet. La production laitière réclame des moyens humains. La technologie aide, mais ne suffit pas. » Les chiffres des élevages spécialisés bretons (voir infographie) montrent clairement que la forte hausse de productivité du travail observée depuis vingt ans s’est accompagnée d’une croissance forte des investissements et d’une augmentation bien plus modérée de la main-d’œuvre. Et dans le même temps, les revenus moyens ont baissé.

Revendre certains outils pour déléguer peut soulager

« Ce sont souvent des jeunes qui investissent, une partie de ces équipements sera à renouveler en cours de carrière car ils se déprécient », analyse Anne Bras. Pour eux, la perspective de récupérer le capital est lointaine et donc incertaine. Ces tendances posent aussi la question de la transmission future de ces gros outils. Dans ces conditions, les emplois partagés (groupement d’employeurs, par exemple) permettent de se familiariser doucement avec le salariat et d’alléger un peu la charge de travail des exploitants avec un budget limité. Une première étape avant de pouvoir embaucher à temps plein une fois les investissements amortis. Quand le constat de la surcharge de travail est posé, si la capacité financière ne permet pas d’embaucher, on peut aussi regarder s’il est possible de réduire la charge de travail et de revenir sur les investissements réversibles. Certains équipements se revendent. On peut alors déléguer des tâches à la Cuma. Cela revient à une embauche indirecte et peut soulager. À condition que le matériel soit effectivement vendu. Déléguer l’élevage des génisses offre une piste pour alléger le travail. D’autres réfléchissent à une évolution du système afin de réduire les charges et parfois le travail. Diminuer la production peut être une option, quand le bâtiment est amorti. Mais dans tous les cas, une réflexion stratégique ne peut exclure la question de la main-d’œuvre. En Bretagne, aujourd’hui, les arrêts de production laitière anticipés sont plus souvent liés à un excès de travail qu’à des difficultés financières.

pascale le cann

© c.ruelle - c.ruelle

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